Par Maître Julie DESORGUES
Une évolution qui se poursuit au profit des constructeurs
Avant même que la loi ELAN ne soit votée en septembre prochain, et qui consiste à améliorer les délais de jugement et à lutter contre les recours abusifs formés contre les demandes d’autorisation, le contentieux de l’urbanisme a poursuivi son évolution avec la parution au Journal Officiel de la République Française (JORF) du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du Code de justice administrative et du Code de l'urbanisme. Sans apporter de véritables révolutions au contentieux de l’urbanisme, ce décret et les modifications qu’il opèrent visent à "desserrer" les freins à la construction ; trop de projets de constructions ayant été fortement ralentis voir annulés du fait de l’introduction de recours abusifs contre les autorisations de construire.
Parallèlement, ce décret vise aussi à accélérer le traitement par le juge administratif des recours dirigés contre les autorisations d'urbanisme.Sûrement à cause de sa date d’adoption, en pleine période estivale, ce décret a fait une apparition discrète mais mérite pourtant une étude, tant il réduit encore un peu plus les possibilités de recours contre les autorisations de construire, et tant les juristes et avocats qui pratiquent le contentieux de l'urbanisme devront être particulièrement attentifs à ces nouvelles règles sous peine de voir leurs recours rejeter. Les évolutions et modifications que ce décret opère sont les suivantes.
Création de l’obligation de confirmer son recours en annulation en cas de rejet du référé-suspension
Lorsqu’un requérant conteste une décision administrative lui faisant grief, il peut assortir sa demande d’annulation, d’une requête en référé afin de tenter d’obtenir la suspension en urgence de l'exécution de cette même décision. Le décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 créé une nouvelle obligation à la charge de l'auteur d'un recours. Si sa demande de suspension en référé est rejetée par le juge administratif, l’auteur du recours devra confirmer au juge sa volonté de maintenir sa requête en annulation. A défaut, s'il ne le fait pas, il sera réputé s'être désisté d'office de sa requête, laquelle sera donc rejetée. Ces nouvelles dispositions sont désormais prévues par le nouvel article R.612-5-2 du Code de justice administrative.
En outre, il convient de préciser que cet article a vocation à s’appliquer à tous les contentieux s’intéressant au droit administratif en général. Enfin, ces nouvelles dispositions sont applicables aux requêtes introduites à compter du 1er octobre 2018 et visent à désengorger les juridictions administratives.
La prolongation de la suppression de l’appel au 31 décembre 2022
La précédente modification du Code de justice administrative avait créé l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative aux termes duquel le tribunal administratif statuait en premier et dernier ressort sur les recours dirigés contre des autorisations d'urbanisme délivrées dans des zones tendues. Autrement dit, ce nouvel article supprimait la possibilité d’interjeter appel pour les requérants ayant vu rejeté leur recours contre les autorisations d'urbanisme délivrées dans des zones tendues, par le juge de première instance. Cette expérimentation devait initialement prendre fin le 1er décembre 2018. Le décret récemment adopté modifie l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative afin de décaler et repousser la date butoir de l’expérimentation de la suppression de l’appel. Ainsi, la suppression de la possibilité d’interjeter appel est repoussée de quatre ans pour les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement, octroyés dans les zones dites tendues. Cette date est repoussée au 31 décembre 2022. Bien évidemment, en supprimant « le droit d’appel » des requérants et en repoussant la date butoir de cette expérimentation, ces dispositions sont favorables aux constructeurs de projets prévues dans des zones dites tendues ; qui n’auront pas à faire face aux contentieux d’appel introduits par les requérants mécontents.
La modification du régime de la preuve de l'intérêt à agir du demandeur
Le nouvel article R. 600-4 du Code de justice administrative poursuit encore la réforme adoptée en matière d’intérêt à agir, c’est à dire en matière de recevabilité des requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le Code de l’urbanisme. La rédaction nouvelle de cet article impose désormais la production de pièces justifiant de l'intérêt à agir du requérant.Auparavant, les recours des tiers, contre des permis de construire, étaient recevables dès lors que ces tiers disposaient de la qualité de voisin. Cette grande ouverture des recours contre les autorisations d’urbanisme a malheureusement conduit à la multiplicité des recours, à l’engorgement des juridictions administratives et a permis certaines pratiques abusives (comme celles des voisins des projets immobiliers d’envergure qui engageaient des recours contentieux afin d’obtenir délibérément de l’argent des promoteurs en contre partie de leur désistement). Face à ces problèmes récurrents, le législateur a encadré les conditions de recevabilité de l’intérêt à agir par ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013. Ainsi, tout requérant doit prouver qu’il est affecté par l’autorisation d’urbanisme, directement dans la jouissance de son bien et que le bien est occupé de façon régulière.
Le nouvel article R. 600-4 du Code de l’urbanisme revient sur cette notion de « requérant régulier» et prévoit que les requêtes doivent désormais être accompagnées d’un acte justifiant du caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant (titre de propriété, promesse de vente, contrat de bail, etc.).
A défaut, les requêtes non accompagnées de ce justificatif seront déclarées irrecevables. Concernant l’intérêt à agir des associations à l’encontre d’une décision d’urbanisme, cet intérêt s’apprécie au regard, d’une part, de son objet social tel que défini par ses statuts et d’autre part, de la publication de ses statuts. Pour rappel, seule une association dont les statuts ont été publiés, avant l’affichage en mairie de la demande d’autorisation d’urbanisme du pétitionnaire, peut exercer une action en justice (en ce sens article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme). Le nouvel article R. 600-4 du Code de l’urbanisme prévoit désormais que les requêtes introduites par une association doivent être accompagnées d’une part, des statuts de l’association et d’autre part, du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture ; et ce sous peine d’irrecevabilité de leur requête. Enfin, ces nouvelles exigences sont applicables aux contentieux générés sur des décisions administratives intervenues après le 1er octobre 2018.
L'obligation de mentionner la date d'affichage en mairie de l'avis de dépôt de la demande d’autorisation
Le décret publié impose à l'administration de mentionner, au sein d'une décision prise sur une demande d'autorisation d'urbanisme, la date d'affichage en mairie de l'avis de dépôts de ladite demande. Cette nouvelle exigence est prévue par l'article R.424-5 du Code de l'urbanisme. Cette même mention devra également apparaître dans le certificat de permis tacite ou de non opposition à déclaration préalable (article R.424-13 du Code de l'urbanisme).
La cristallisation automatique des moyens
Pour rappel, l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative donne la possibilité au juge administratif de fixer, de sa propre initiative la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux d’annulation.Le décret du 17 juillet 2018 fait revenir cette technique (ce pouvoir) du juge administratif au sein du Code de l’urbanisme.L’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme ainsi créé établit un régime dérogatoire au Code de justice administrative pour les recours formés contre les décisions d'occupation ou d'utilisation du sol. Dorénavant, les parties ne pourront plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à la suite de la communication aux parties du premier mémoire en défense ; ce qui impose bien évidemment un suivi très rigoureux par les requérants de leur calendrier procédural.
Toutefois, le juge peut aussi et à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens. Cet article est applicable aux requêtes enregistrées à compter du 1er octobre 2018.
Le délai de jugement des recours dirigés contre une autorisation d'urbanisme est fixé à dix mois
Le nouveau décret crée un nouvel article R. 600-6 au sein du Code de l’urbanisme. Cet article pose un délai de dix mois, dans lequel le juge administratif (de première instance et d’appel) doit statuer sur les recours dirigés contre les permis de construire portant sur un bâtiment de plus de deux logements ou les permis d’aménager un lotissement. Une telle disposition est innovante lorsque que l’on connaît les importantes disparités entre les juridictions s’agissant des délais de jugement ; et devrait conduire les magistrats à multiplier les mesures d’instruction, comme le désistement d’office ou les clôtures d’instruction.Ces dispositions sont bien évidemment favorables aux constructeurs, qui vont pouvoir plus rapidement reprendre leurs projets (attaqués) et ne pas attendre les délais parfois interminables de jugement. En tout état de cause, il convient de noter que le non-respect de ce délai n’est assorti d’aucune conséquence.Enfin, ces nouvelles dispositions sont applicables aux requêtes enregistrées après le 1er octobre 2018 et pourraient ainsi inciter les constructeurs à procéder à l’affichage de leurs permis de construire à compter de cette date, afin de pouvoir bénéficier de ce délai de jugement raccourci.
La possibilité d’obtenir une attestation de non recours
Le décret publié consacre la possibilité (déjà existante en pratique mais peu encadrée) de demander et d’obtenir une attestation de non recours vis-à-vis d’une autorisation d’urbanisme. Le nouvel article R. 600-6 du Code de l'urbanisme créé dispose effectivement que : « A la demande du bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme, le Tribunal administratif, la Cour administrative d’appel, ou le Conseil d’Etat délivre :- Soit, à la date de sa délivrance, une attestation de non recours contentieux ;- Soit la date d’enregistrement du recours s’il a été formé ».Cette nouvelle codification constitue une avancée car, dans la pratique, tous les greffes ne délivraient pas de ces certificats.
La réduction du délai de recours après achèvement de la construction
Ce délai de recours – qui doit être distingué du délai de recours à compter de l'affichage de la décision - est réduit d'un an à six mois. L'article R. 600-3 du Code de l'urbanisme dispose ainsi que : "Aucune action en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable n'est recevable à l'expiration d'un délai de six mois à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement.Sauf preuve contraire, la date de cet achèvement est celle de la réception de la déclaration d'achèvement mentionnée à l'article R. 462-1."Ces dispositions sont applicables aux autorisations d’urbanisme, entachées d’un défaut de publicité (par exemple un défaut d’affichage sur le terrain) n’ayant ainsi pas fait courir le délai de recours contentieux de deux mois. Ces dispositions sont applicables aux requêtes dirigées contre des décisions intervenues après le 1er octobre 2018.
Comments