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Jours de souffrance d’une habitation et troubles anormaux du voisinage


Par Maître Julie DESORGUES



Obturation des jours de souffrance d’une habitation et troubles anormaux du voisinageAux termes de l’article 544 du Code civil, il est prévu que « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Sur le fondement de cet article, la jurisprudence a, de façon prétorienne, consacré la théorie des troubles anormaux de voisinage qui prévoit que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage ».Dans ce cadre, en application de l’article 544 du Code civil tel qu’interprété par les juges, l'acte de construire, réalisé même de façon régulière et sans faute, peut ouvrir droit à une action en dommages et intérêts s'il cause à autrui, un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.Autrement dit, le propriétaire voisin a l'obligation de ne pas causer des nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage ; n’ayant pas le droit d’imposer librement à ses voisins une trouble excédant les obligations ordinaires du voisinage.Il découle ainsi de cette théorie, deux règles de droit consacrées par la jurisprudence- La première tenant à l’exonération de la responsabilité du propriétaire qui demeure en deçà du seuil de tolérance ; - La seconde tenant à l’engagement automatiquement de la responsabilité du propriétaire qui dépasse ce seuil.Il s’agit donc d’une responsabilité sans faute, la responsabilité de l’auteur du trouble pouvant être engagée dès lors l’anormalité du trouble en question est prouvée.

A qui la responsabilité ?

Cette théorie permet d’engager, en cas de nuisances excessives, la responsabilité du propriétaire mais aussi du constructeur, notamment lorsque la nuisance provient de la construction d’un immeuble. A titre d’illustration, par un arrêt du 22 juin 2005 la Cour de cassation a considéré que : « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Civ. 3ème, 22 juin 2005, Bull. III, n°136).Sur le fondement de cette théorie, les juge sont amenés à examiner plusieurs types d’affaires, plusieurs types de nuisances comme le bruit, la fumée, la privation de lumière ou de vue, les nuisances olfactives, etc. Cette théorie fait d’ailleurs l’objet d’une jurisprudence certes abondante, mais aussi fluctuante. C’est aussi le cas de l’obturation des jours de souffrance par l’édification d’une construction voisine. La jurisprudence reconnaît effectivement que l’obturation des jours de souffrance par l’édification d’un immeuble voisin comme un trouble anormal de voisinage et comme un préjudice réparable (CA Paris, Chambre 8 section B, arrêt du 24 Février 1989 – CA, Pôle 4, chambre 1 , arrêt du 10 Juin 2010, n° 09/05462). Ainsi, dans la première décision en date du 24 février 1989, la Cour a estimé que même si rien n'interdit à un propriétaire de construire sur son propre fonds, et de faire ainsi obstacle à la pénétration de l'air et de la lumière par le jour de souffrance ouvert dans une salle de bains de l'immeuble voisin, il n'en demeure pas moins que cette obturation prive définitivement de ces avantages le propriétaire de l'appartement. Dans la décision datée du 10 juin 2010, ci-dessus énoncée, la Cour d’Appel de Paris a encore jugé que la suppression de l'éclairage naturel, qui est définitif et entraîne une perte de valeur de l'appartement, et la suppression de l'aération naturelle de pièce de chacun des appartements des requérants constituent un trouble excédant les troubles normaux de voisinage. Enfin, la jurisprudence récente confirme aussi l’anormalité du trouble lorsque l’obturation des jours de souffrance concerne les pièces non principales comme les pièces d’eau, et ce même dans des zones urbanisées (C CASS, 3E Civ, 17 novembre 2016, Pourvoi n° 15-24.687 - CA Paris, Pôle 04 ch. 02, 14 juin 2017, n°15/14099 - CA Rennes, 6 avril 2017, n°13/09210). Dès lors, l'anormalité du trouble ainsi occasionnée, sans qu'il y ait faute du propriétaire ou du constructeur, justifie l'allocation de dommages-intérêts au propriétaire voisin qui devra notamment supporter les privations d'air et de lumière. En application de ces décisions, il est donc parfaitement établi que l’obturation des jours de souffrances desservant des pièces, et même des pièces non principales (comme les cuisines ou les salles d’eau), constitue un trouble anormal justifiant la réparation des préjudices consécutifs. S’agissant cependant d’une question relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond, elle demeure soumise à interprétation et donc à un aléa judiciaire conséquent. De surcroît, et bien évidemment, tout trouble ne donne automatiquement pas lieu à l’octroi d’une indemnisation, encore faut-il que le trouble soit anormal et qu’un préjudice en découle pour le plaignant. Enfin, l’action de la victime contre le propriétaire voisin de la construction à l’origine du trouble, devra être être intentée dans un certain délai, à savoir dans un délai de cinq ans à compter de l’apparition du trouble ou de sa connaissance par la victime, sous peine d’être immédiatement rejetée par les juges. Autant de règles et de conditions que le particulier profane pourrait se voir opposer en défense par la partie adverse s’il n’est pas bien conseillé, ou s’il s’engage seul dans un contentieux.

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