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SEM vs SPL sous l’angle de la participation privée

Par Maître Julie DESORGUES


Face au développement des entreprises publiques locales, les jurisprudences divergeaient quant à la possibilité pour les SPL (société publique locale) d’intervenir dans des domaines qui ne relevait pas de la compétence de toutes les collectivités territoriales membres.



Un débat demeurait entre les juridictions :

· Certaines juridictions autorisaient une SPL entre une commune et sa communauté de communes dès lors que chaque actionnaire retrouve un peu de ses compétences dans l’objet social de la SPL (position des compétences partagées) ;

· Les autres juridictions imposaient que l’objet social de la SPL soit à l’intersection « parfaite » des champs d’attributions des actionnaires de la SPL (position des compétences strictement identiques).


Le Conseil d’Etat, par un arrêt attendu (CE, 14 novembre 2018, n°405628), a tranché cette question, qui était donc celle de savoir si une collectivité territoriale (commune, département, région) ou un groupement de collectivités territoriales (communauté de communes, communauté d’agglomération, métropole…) peut ou non participer au capital d’une SPL alors qu’elle n’exerce pas la totalité des compétences correspondant à chacune des composantes de l’objet social de cette dernière.


Par son arrêt du 14 novembre 2018, le Conseil d’Etat considère qu’une SPL ne peut pas, pas directement, se faire entre une commune et son EPCI à fiscalité propre. Pour la Haute juridiction, l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales impose donc une stricte coïncidence entre l’objet social de la SPL et les compétences exercées par les personnes publiques qui en sont actionnaires.


Par voie de conséquence, la participation d’une personne publique à une SPL est exclue lorsque cette personne publique n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société.


Le Conseil d’État a ainsi mis un coup d’arrêt aux SPL « à la carte », dans lesquelles un actionnaire peut n’exercer qu’une partie des compétences prévues par les statuts de la société (par exemple, l’assainissement collectif seulement, pour une SPL ayant pour objet l’exploitation des services publics d’eau potable et d’assainissement).

En plus des difficultés pratiques engendrées par cet arrêt quant au devenir des SPL dites à la carte, cet arrêt ne se prononçait pas expressément sur son application aux SEM (société d’économie mixte).


Une grande majorité de la doctrine plaidait en faveur de l’application de cette jurisprudence aux SEM. Pour autant, même si les similitudes entre les SEM et les SPL sont établies, il n’en demeure pas moins qu’elles présentent aussi des différences pouvant faire obstacle à une application stricto sensu de cette jurisprudence aux SEM.


Une proposition de loi, actuellement en cours d’adoption, règle partiellement les problématiques soulevées par l’arrêt du Conseil d’Etat. Déposée au Sénat le 7 février 2019, cette proposition de loi a pour objet de clarifier le cadre législatif des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte pour sécuriser leur existence à la suite de l’arrêt du Conseil d'État, les auteurs de la proposition de loi considérant qu’ « un coup d'arrêt à la possibilité de plus en plus utilisée par les collectivités territoriales (...) de constituer ensemble, sous forme d'entreprise, des opérateurs communs pour gérer un certain nombre d'activités dans des conditions permettant mutualisation, économies de gestion et donc des marges de manœuvre financières supplémentaire" et "[fragilisé] les 359 SPL et 925 SEM apparues depuis 1983 pour les SEM et 2010 pour les SPL, alors même que leur dynamisme contribue de plus en plus à la cohésion comme au développement des territoires en matière d'innovation économique, de logement social, d'énergies renouvelables, de mobilité, d'attractivité touristique ou de revitalisation des cœurs de ville".


Pour les SEM, la proposition de loi adoptée par le Sénat ce mois-ci, complète l’article L. 1522-1 du code général des collectivités territoriales, uniquement applicable aux SEM, en insérant un 3° ainsi rédigé : « 3° La réalisation de l’objet de ces sociétés [les SEM] concourt à l’exercice d’au moins une compétence de chacune des collectivités territoriales et de chacun des groupements de collectivités territoriales qui en sont actionnaires ».

Avec cette insertion, cette proposition de loi remet expressément en cause la jurisprudence du Conseil d’État, puisque cette proposition permet que chaque actionnaire public retrouve un peu de ses compétences dans l’objet social de la SEM.


Le Gouvernement, qui semblait a priori favorable à l’esprit de la présente proposition de loi, a toutefois proposé un certain nombre d’amendements en commission.

Reste alors à déterminer de quelle manière cette loi sera adoptée et si elle respectera les spécificités « privées » des SEM qui les différencient des SPL.

Dans cette attente, il apparaît utile de rappeler les spécificités privées des SEM, qui les différencient des SPL.


Les particularités privées des SEM « concernent les conditions de leur création, leur administration, le rôle des élus, le régime juridique de leurs activités, leurs obligations et les contrôles qui pèsent sur elles » (Rapport de la Cour des comptes du 15 juin 2017), ce qui leur permet de disposer d’une certaine marge de manœuvre quant à leur champ de compétence à l’inverse des SPL.

D’une part, du fait de la participation d’actionnaire privé dans les SEM, ces dernières n’ont aucune limite territoriale d’intervention.

Elles peuvent, d’autre part, avoir des activités complémentaires à l’activité principale. Les SEM peuvent effectivement intervenir pour des personnes qui ne sont pas ses actionnaires. Dans ce cadre, et à titre d’illustration, les SEM peuvent construire et gérer elles-mêmes des logements sociaux et avoir des filiales.


Dans ce contexte, les SEM sont plus envisagées comme des « entreprises des collectivités locales » à la différence des SPL qui sont conçues comme le « prolongement/démembrement des collectivités locales » (« De la société d'économie mixte locale à la société publique locale : similitudes ou grand écart ? » Claude Devès, RFDA 2012 p.1082).

Au regard de ces principes, il apparaît que l’actionnariat privé des SEM leur permet de bénéficier d’une marge de manœuvre opérationnelle, aussi bien matérielle que financière, bien plus importante que celle dont les SPL bénéficient.


Cet actionnariat privé implique aussi des inconvénients.

D’une part, alors que les SPL peuvent conclure directement des contrats avec les collectivités territoriales sans mise en concurrence préalable du fait de leur relation « in house », les SEM doivent postuler, comme toute autre opérateur privé, aux procédures d’appels d’offres des marchés publics entrant dans le cadre de leur objet social.

Les SEM sont effectivement soumises au droit commun des marchés publics du fait de la présence d’investisseurs privés (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle) dans leur capital. Une fois devenu attributaire d’un marché public, les SEM agissent alors à leurs risques et périls en cas de carence dans l’exécution du marché, comme toute autre opérateur privé.

Dans leurs relations contractuelles avec les tiers, les SEM et SPL sont soumises aux obligations de publicité et de mise en concurrence.


D’autre part, en cas de mésentente au sein de l’actionnariat, les personnes privées actionnaires ne disposent pas d’un pouvoir décisionnel efficient car :

· Les personnes publiques détiennent plus de la moitié du capital social (entre 51% à 85%) et détiennent plus de la moitié des voix dans les organes délibérants ;

· Les personnes privées sont exclues de la gouvernance des SEM.


En définitive, sous couvert d’une collaboration « privée/publique de façade », les actionnaires privés ne participent pas de manière efficiente à la vie de la société du fait des contraintes législatives adoptées ; ce qui peut rapidement aboutir à une situation de blocage institutionnel puis opérationnel.


Cette conclusion s’impose d’ailleurs de plus fort que les actionnaires privés des SEM doivent faire face au caractère nécessairement « interchangeable » (du fait des élections et des mutations) des représentants des personnes publiques avec lesquels elles traitent.

Du fait de ces contraintes, mais aussi de celles des SPL « moins opérationnelles », il pourrait être intéressant pour les personnes publiques et privées de constituer des SEMOP (Société d’économie mixte à opération unique) ; entreprise publique locale permettant à une collectivité locale ou son groupement de lancer un appel d’offre en amont de la constitution de la société, pour désigner l’actionnaire opérateur qui s’associera avec elle pour l’exécution d’un contrat qui lui sera attribué («Avec un partenaire privé actionnaire majoritaire, la SEMOP ne sera pas soumise au code des marchés publics. En effet, dans ces conditions, la SEMOP pourra ne pas être qualifiée de « pouvoir adjudicateur») et ne sera alors pas soumise au code des marchés publics : elle pourra donc contractualiser librement avec des tiers ou encore avec des filiales de son actionnaire privé. C’est sans doute la disposition la plus innovante de la SEMOP. Elle devrait intéresser les partenaires privés mais suscite quelques réticences.


Pour autant, la collectivité garde une minorité de blocage même si sa part dans l’actionnariat est minoritaire. La présidence du conseil d’administration ou du conseil de surveillance est de droit confiée à un élu. Cette disposition suffira-t-elle à rassurer les détracteurs de la SEMOP ? » https://www.cerema.fr/fr/actualites/semop-mariage-raison-entre-entreprises-collectivites).

Au regard du dernier bouleversement jurisprudentiel et de la proposition de loi en cours de « négociation », reste à déterminer si les EPL auront finalement vocation à perdurer ou non…

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