Par Maître Julie DESORGUES
Depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, les collectivités territoriales ont développé des sociétés commerciales (société d’économie mixte (SEM), société publique locale (SPL), etc.) pour mettre en œuvre leurs politiques publiques locales avec des mécanismes juridiques opérationnels.
Grâce la souplesse et à l’efficacité de ces sociétés, l’action territoriale s’est ainsi développée dans de nombreux domaines (aménagement, immobilier notamment social, transport, numérique, tourisme, eau et assainissement, environnement, déchets, …).
En outre, pour faire face aux obligations européennes de publicité et de mise en concurrence préalables aux auxquelles les SEM étaient soumises, le recours aux SPL au capital 100% public s’est intensifié car celles-ci n’étaient pas soumises à de telles obligations (exception de mise en concurrence, dite « in house » ou « quasi régie ») ; l’article L.1531-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoyant expressément que « les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent créer, dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi, des sociétés publiques locales dont ils détiennent la totalité du capital ».
Face à ce développement, les jurisprudences divergeaient quant à la possibilité pour les SPL d’intervenir dans des domaines qui ne relevait pas de la compétence de toutes les collectivités territoriales membres.
Un débat demeurait entre les juridictions :
· Certaines juridictions autorisant une SPL entre une commune et sa communauté de communes dès lors que chaque actionnaire retrouve un peu de ses compétences dans l’objet social de la SPL (position des compétences partagées) ;
· Les autres juridictions imposant que l’objet social de la SPL soit à l’intersection « parfaite » des champs d’attributions des actionnaires de la SPL (position des compétences strictement identiques).
Le Conseil d’Etat, par un arrêt attendu (CE, 14 novembre 2018, n°405628), a tranché cette question, qui était donc celle de savoir si une collectivité territoriale (commune, département, région) ou un groupement de collectivités territoriales (communauté de communes, communauté d’agglomération, métropole…) peut ou non participer au capital d’une SPL alors qu’elle n’exerce pas la totalité des compétences correspondant à chacune des composantes de l’objet social de cette dernière.
Par son arrêt du 14 novembre 2018, le Conseil d’Etat considère qu’une SPL ne peut pas, pas directement, se faire entre une commune et son EPCI à fiscalité propre. Pour la Haute juridiction, l’article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales impose donc une stricte coïncidence entre l’objet social de la SPL et les compétences exercées par les personnes publiques qui en sont actionnaires.
Par voie de conséquence, la participation d’une personne publique à une SPL est exclue lorsque cette personne publique n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société.
Le Conseil d’Etat met ainsi un coup d’arrêt aux SPL « à la carte », dans lesquelles un actionnaire peut n’exercer qu’une partie des compétences prévues par les statuts de la société (par exemple, l’assainissement collectif seulement, pour une SPL ayant pour objet l’exploitation des services publics d’eau potable et d’assainissement).
Toutefois, si cet arrêt a le mérite de trancher fermement cette question, il demeure imprécis quant à ses conséquences pratiques.
D’une part, la Haute Juridiction ne dit rien sur les conséquences à tirer sur les SPL dorénavant illégales. Se posent alors de redoutables questions en termes de sécurité juridique, tant sont nombreuses les SPL constituées sur un modèle « à la carte ».
Au regard de l’enjeu (au 1er juin 2017, il existait 318 SPL selon le recensement de la Fédération des entreprises locales), une intervention du législateur est nécessaire pour régler le devenir de ces Sociétés.
D’autre part, beaucoup ont conclu à l’application de cette nouvelle position jurisprudentielle aux SEM.
En l’absence de précision à ce sujet dans l’arrêt précité, cette conclusion apparaît hâtive.
En effet, si les SPL et les SEM présentent des similitudes évidentes, elles présentent aussi des différences.
A titre d’illustration, à la différence des SPL, les SEM ont des actionnaires privés et peuvent agir pour le compte d’autres personnes que ces actionnaires. Une application stricto sensu de l’arrêt du Conseil d’Etat du 18 novembre 2018 aux SEM paraît ainsi pouvoir entrer en contradiction avec les missions mêmes des SEM et les compétences légales octroyées à ces Sociétés.
De nouveau, une intervention du législateur apparaît nécessaire pour prévenir des difficultés à venir.
Une loi de validation semble effectivement inévitable, sous peine de fragiliser l’écosystème concerné, car la solution retenue touchant aux règles de compétence (qui sont d’ordre public) peut ainsi invalider rétroactivement l’ensemble des montages précédemment créés comme les actes en découlant.
Cette conclusion s’impose d’ailleurs de plus fort, que le Conseil d’Etat n’a pas différé la date de l’application de sa solution afin de préserver la sécurité juridique ; alors que les SEML, les SPL et plus généralement les EPL représentent aujourd’hui plus de 1200 entreprises locales en France.
Les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience des problématiques ainsi engendrées et de la nécessité d’intervenir.
Le ministre chargé de la ville et du logement a assuré que « le gouvernement est en train de les (conséquences de cette jurisprudence) examiner avec une préoccupation majeure [...] qui est de ne pas mettre à mal un modèle et un tissu d’acteurs dont nous avons un grand besoin pour réussir nos politiques publiques ».
Toutefois, en attendant d’avoir une intervention législative claire, les positions divergent de nouveau…
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